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Etats-Unis contre le Monde Le droit comme instrument de guerre économique


Un ex-dirigeant d’Alstom livre dans un ouvrage témoignage, intitulé Le piège américain. Otage de la plus grande entreprise de déstabilisation, les dessous du rachat du groupe français par General Electric (GE) . Frédéric Pierucci, « pantin dans les mains de la justice américaine », fut la « victime de la stratégie » du Pdg Patrick Kron. Son histoire personnelle illustre la guerre économique que les États-Unis livrent à l’Europe pour s’emparer de ses pépites industrielles, utilisant la justice comme levier pour faire plier les entreprises concernées, à travers des contraintes physiques manifestées par des emprisonnements manifestement abusifs, et des contraintes financières par le biais d’amendes exorbitantes qui feraient tomber des pays entiers.

Arrêté sans ménagement et immédiatement mis à l’isolement, quasiment sans contact avec sa famille, le 14 avril 2013 à son arrivée à l’aéroport de New York, pour une affaire de corruption en Indonésie remontant au début des années 2000, son arrestation intervient un an presque jour pour jour avant l’annonce du rachat d’Alstom par GE le 24 avril 2014.

Le plus étonnant est bien sûr la célérité avec laquelle les négociations sur une telle transaction se sont opérées, puisque selon Patrick Kron, les pourparlers entre Alstom et GE ont commencé le 23 mars 2014 et la vente devait être bouclée le 23 juin 2014. Dans le cadre de cette transaction, General Electric, l’entreprise états-unienne, achetait la branche énergie du groupe français pour 12,35 milliards d’euros ; mais en vertu la législation US autorisant les entreprises qui investissent à l’étranger à bénéficier de déductions fiscales, GE ne déboursera donc que 8,35 milliards d’euros.

Au-delà des péripéties internes qui marquaient ses relations avec le PDG de l’époque Patrick Kron, et du rôle de ce dernier dans la réalisation de ce rachat, l’on est en droit de s’interroger sur la finalité de l’arrestation de ce président, et surtout sur le caractère « habituel » de ces procédés visant les groupes étrangers, européens en particulier, pour faire réaliser par des groupes états-uniens des opérations financièrement et stratégiquement juteuses.

Dans son livre cité plus haut, écrit avec le journaliste Matthieu Aron, Frédéric Pierucci assure que « les poursuites américaines [états-Uniennes NdlR] sont bien à l’origine de la décomposition d’Alstom ». Convaincu qu’il n’a rien à se reprocher, d’autant qu’il avait été blanchi par une enquête interne d’Alstom, le dirigeant croit à une rapide libération. Il révèle que la justice US visait le PDG du groupe. « Ce que nous voulons, c’est poursuivre la direction générale d’Alstom et notamment Matthieu Kron », lui affirme le procureur fédéral du Connecticut David Novick peu après son arrestation.

Frédéric Pierucci n’aurait pas été prévenu par son entreprise que le Département de la Justice (DoJ) avait ouvert une enquête en 2009 sur « l’affaire indonésienne » et se rend compte que Patrick Kron « a voulu jouer au plus fin », « en faisant croire que l’entreprise collaborait, tout en faisant en réalité l’inverse ». Le même salarié d’Alstom finira par plaider coupable, ce qui conduira en interne à son licenciement.

Au-delà de cette histoire, des enjeux importants se cachent derrière cette arrestation-condamnation non d’une personne, mais de l’un des fleurons industriels français.

Pour échapper aux procureurs états-uniens, vendre à General Electric l’ensemble des activités énergies et réseaux que les USA convoitaient depuis tant d’années, paraissait être la solution pour l’ex Pdg d’Alstom, même s’il dément aujourd’hui cette thèse.Sous couvert de lutte contre la corruption, les USA affaiblissent certaines entreprises stratégiques pour mieux se positionner sur les marchés mondiaux. C’est une guerre économique souterraine qu’ils livrent aux entreprises françaises et européennes.Les États-Unis profitent également de cette compétence extraterritoriale pour étendre leur capacité de sanction aux entreprises étrangères, qui auraient eu des activités économiques avec les pays sanctionnés de façon unilatérale par les USA.Alcatel, Alstom, Technip, Total, la Société Générale, BNP Paribas, Crédit Agricole, Areva …

Toutes ces entreprises françaises se sont retrouvées, ces dernières années, poursuivies par la justice US pour des affaires de corruption ou de contournement d’embargos. Elles ont toutes été poursuivies sur la base de ce qu’on appelle « l’extraterritorialité du droit états-unien ». Ce sont des lois qui permettent de poursuivre des entreprises étrangères à l’étranger, à condition qu’elles aient « un lien» même artificiel avec les États-Unis . Ce lien est extrêmement large, puisqu’il suffit que les entreprises effectuent une transaction en dollars ou qu’elles utilisent une technologie US pour que des poursuites puissent être engagées. « Il suffit d’utiliser une puce électronique, un iPhone, un hébergeur ou un serveur états-unien pour vous retrouver sous le coup de la loi US, explique l’économiste Hervé Juvin. C’est un piège dans lequel de nombreuses entreprises sont tombées. » D’autres entreprises françaises et européennes sont susceptibles d’être inquiétées par la justice états-unienne. En effet, l’on peut d’abord citer Airbus, qui s’est dénoncé aux autorités US, alors que l’avionneur fait déjà l’objet d’une enquête pour des soupçons de corruption en France, au Parquet national financier (PNF), mais aussi en Angleterre. Il y a également le cas d’Areva. L’entreprise a racheté la société canadienne Uramin à un prix qui semble surévalué. Fin 2016, un dossier a été déposé auprès du FBI à propos de cette affaire. L’opération se serait effectuée en dollars, certains acteurs de cette affaire seraient états-uniens, et enfin, Uramin a tenu une assemblée générale décisive... à New-York. Les critères seraient réunis pour que la loi anticorruption US soit activée. L’entreprise Lafarge pourrait également être inquiétée. Le cimentier franco-suisse est déjà poursuivi par la justice française. Il est soupçonné d’avoir versé de l’argent à Daech en Syrie, pour continuer à fonctionner. Lafarge a demandé à un cabinet américain, Baker Mac Kenzie, de réaliser un rapport d’audit.

Un rapport parlementaire français, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 octobre 2016 a souligné notamment deux points en ce qui concerne l’extraterritorialité des lois US : Le droit comme instrument de puissance économique et de politique étrangère Le droit mis au service des objectifs de la politique étrangère et des intérêts économiques des États-Unis et aussi au service direct des intérêts de leurs firmes. La commission a entendu plusieurs experts qui confirment ces conclusions, lesquels soulignent la décision politique et économique qui anime la façade judiciaire. C’est ainsi que l’on constate que pour collecter ces informations, tous les services US sont mobilisés. « C’est une stratégie délibérée des États-Unis qui consiste à mettre en réseau leurs agences de Renseignement et leur justice afin de mener une véritable guerre économique à leurs concurrents, estime l’ancien député LR Pierre Lellouche, qui a présidé une mission d’information parlementaire sur le sujet. Cette guerre économique est habillée par les meilleures intentions du monde. »Le Sénat a fait le même travail et est arrivé aux mêmes conclusions .Résultat, ces dernières années, près de 40 milliards de dollars d’amende ont été infligés par la justice états-unienne à des entreprises européennes .En 1996, la France a failli vendre Thomson au Coréen Daewoo pour le franc symbolique dans le cadre d’une opération de privatisation toujours pour les mêmes prétextes ; or cette société était l’une des leaders de l’électronique y compris militaire. L’État a dû y renoncer face à la pression politique et médiatique, mais surtout à une opération valorisation du capital immatériel de Thomson.En effet, Thomson excellait surtout dans le domaine des brevets, des savoir-faire de ses experts et ingénieurs, de sa capacité d’innovation, … Depuis, Thomson est devenu Thales,Au-delà de la lâcheté politique face aux enjeux nationaux, ces agissements états-uniens n’auraient été possibles sans le principe d’extraterritorialité de la justice US qui a coûté jusqu’à présent aux entreprises françaises plus de 13 milliards de dollars au titre des amendes infligées par la justice états-unienne.Ce racket, car c’est bien de cela dont il s’agit, est inédit par son ampleur, puisque GE a racheté quatre sociétés dans ces conditions en dix ans. La justice US a finalement condamné Alstom à payer une amende de 772 millions de dollars et a refusé que GE s’en acquitte comme il était convenu dans les accords de rachat. !Non seulement le groupe perd un de ses fleurons, mais il est ponctionné de près d’un milliard de dollar ! Il n’y a que la mafia pour faire ce type d’opérations, mais elle l’aurait fait avec plus de discrétion…En 1977, les Etats-uniens adoptent une loi anticorruption, baptisée « FCPA » (Foreign Corrupt Practicises Act), qui fait suite à un énorme scandale de pots-de-vins chez l’avionneur Lockheed. Mais les ils estiment que leur loi anticorruption les pénalise dans la compétition économique. « L’ancien patron de la CIA, James Woolsey, a dit un jour : "Il y en a marre des pots-de-vin que les Français versent dans les contrats d’armements. Nous on va nettoyer ça !" Sauf que les Américains [États-uniens Ndlr.] vont continuer à verser des commissions dans des sociétés off-shore… », témoigne Pierre Lellouche.« Comme les États-Unis sont devenus une hyperpuissance, ils n’ont quasiment plus eu besoin d’utiliser les pots-de-vin, nuance le journaliste Jean-Michel Quatrepoint. Ils ont développé une stratégie d’influence. Un soft power. La corruption, avec les "bons vieux pots-de-vin", c’est l’arme des faibles. »Cette volonté de puissance économique s’impose comme un véritable objectif stratégique, après la chute du mur de Berlin, en 1989. « En 1993, le secrétaire d’État US Warren Christopher réclame au Congrès les mêmes moyens pour faire face à la compétition économique mondiale que lors de la lutte contre les Soviétiques pendant la Guerre froide, raconte le spécialiste de l’intelligence économique Ali Laïdi. C’est une nouvelle guerre chaude économique. »La loi anticorruption US va donc être élargie à toutes les entreprises (en 1998).Toute une batterie de lois est également mise en place contre le contournement d’embargos ou la fraude fiscale. Il s’agit de contrer l’émergence des nouvelles puissances comme la Chine, devenue le concurrent numéro un, et en secret l’ennemi n° 1 des USA.« Les États-Unis n’arrivent pas à contenir économiquement la Chine, explique le directeur de l’Ecole de guerre économique, Christian Harbulot. Ils cherchent donc par tous les moyens à faire en sorte que cette puissance ne les dépasse pas. » Du coup, le droit états-unien permet, si besoin, d’écarter certains concurrents gênants. « Les Américains [États-uniens Ndlr.] peuvent utiliser l’arme anticorruption s’ils veulent empêcher qu’un concurrent ne se vende aux Russes ou aux Chinois, estime Hervé Juvin. C’est notamment le cas d’Alstom. Il ne fallait pas, aux yeux des Américains, qu’Alstom établisse un partenariat et un transfert de technologie avec les Chinois. »

Sources André Chamy Extrait de l’article paru le 4 février 2019 sur Voltairenet.org


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